Résister à la régression

Le bloc-notes d'Ivan Rioufol, Figaro 25 novembre 2005

Deux obstacles à la modernisation de la France: le communautarisme ethnique, révélé par la première «Intifada» des cités, et le corporatisme syndical. Cette semaine, ce dernier a tenté de prendre, en vain, le relais du soulèvement des banlieues. Une continuité qui n'est pas fortuite, tant les deux phénomènes se complètent. L'un ébranle l'unité, l'autre la solidarité nationale. Tous deux affaiblissent l'Etat, en le maintenant dans son rôle d'obligé. Qui leur résiste?

Le gouvernement a répondu aux émeutiers en accroissant les crédits, déjà importants, destinés aux banlieues. La direction de la SNCF a calmé la CGT – pourtant peu suivie par les cheminots – en offrant, mardi, prime exceptionnelle, hausse des salaires et embauches supplémentaires. Mais de telles vénalités ne peuvent qu'encourager les stratèges de la lutte des classes à attiser les braises du «mouvement social», label dont a bénéficié la rébellion urbaine.

Une régression se profile si rien n'est fait pour corriger le modèle d'intégration et le modèle social français. L'asphyxie du premier prive la nation de la puissance d'une identité commune, acceptée par tous les nouveaux venus. L'archaïsme du second empêche l'économie de s'adapter à une concurrence née de l'ouverture des marchés. C'est ainsi qu'un pays devient vulnérable.

Les grèves à la SNCF et à la RATP, menées sous prétexte d'une «privatisation rampante» et d'une défense du service public, ont été des actes de protection de statuts privilégiés. Comme l'ont été les conflits à la Société nationale Corse Méditerranée ou à la Société des transports marseillais. Ces abus de droit, face auxquels les salariés concernés semblent prendre leurs distances, devraient inciter à faire l'inventaire des avantages accumulés par des syndicats s'étant appropriés des biens publics.

Dans son livre, Cet Etat qui tue la France, édité chez Plon, Nicolas Lecaussin révèle notamment les gaspillages de la RATP et les avantages de ses agents: «Moins de 30 heures de travail par semaine, des salaires 20% plus élevés que dans le privé, les retraites à 53,5 ans.» Une situation rendue encore plus confortable sous l'actuelle majorité, alors que le trafic voyageurs se stabilisait, et baissait même entre 2002 et 2003. Les conditions à la SNCF sont du même ordre. Fallait-il flatter à nouveau ces privilégiés en leur accordant d'autres égards?

Les renoncements du PS
Y prendre garde: des contribuables sont las d'avoir à combler les dettes de la SNCF (7 milliards d'euros) et de la RATP (4 milliards). D'autant qu'ils n'ont aucun contrôle sur la gestion de ces entreprises confisquées par des clans au détriment des usagers. Des contribuables sont las d'avoir à financer des «politiques de la ville» ne sachant offrir que des droits, sans oser imposer à leurs bénéficiaires quelques obligations élémentaires, à commencer par la maîtrise du français.

Ce n'est pas le PS qui se fera l'interprète du ras-le-bol de l'opinion, stupéfaite de découvrir tant de réalités cachées. Pour avoir assuré que Nicolas Sarkozy ne se remettra jamais de ses «propos incendiaires» («Kärcher», «racaille»), la gauche peut voir le ministre de l'Intérieur porté par les sondages. Les socialistes, eux, peinent à être écoutés. Ils sont d'ailleurs prêts à toutes les excentricités pour se faire entendre.

Démonstration l'autre week-end, au Mans. Jamais le PS n'est apparu aussi indifférent aux faits que lors de son congrès, qui a accouché d'une «synthèse» aggravant son irréalisme. «Il faut faire rendre gorge au capitalisme sauvage», a déclaré Jack Lang, donnant une idée de ce que sont les références poussiéreuses de la gauche. Plutôt qu'une réflexion sur la crise du «modèle français» nourrissant un tribalisme identitaire et corporatiste, le PS veut revenir aux 35 heures, renationaliser EDF, abroger la loi sur les retraites...

Cette attitude réactionnaire est prête à toutes les connivences avec des syndicats pantouflards et des mouvements protestataires qui ne voient dans l'Etat que la vache à lait. Mardi, Dominique Strauss-Kahn a trouvé légitime la grève de la SNCF (dénoncée par la CFDT), et intolérable que le gouvernement envisage de se désengager du secteur des transports. Est-ce avec ces capitulations que la nation va inciter les Français qui s'exilent à revenir?

Mutation conservatrice
Résister à l'éclatement possible de la nation et à son affaiblissement économique revient à la droite, vu le peu d'entrain de la gauche et son absence de projets novateurs. Mais ce seul réveil sera vain s'il n'est pas répondu à cette question : pourquoi la France ne fait-elle plus rêver ceux qu'elle accueille? Si la force de l'identité musulmane est un frein à une totale assimilation, cette donnée n'explique pas l'ensemble des réticences à suivre l'hôte. Remarque d'un lecteur musulman, Vincent Karim Ammi: «Si les églises sont vides, si personne, en France, n'ose chanter la Marseillaise, si personne n'ose brandir un drapeau français dans ce pays, ce n'est pas de la faute des musulmans.» Exact. Aussi reste-t-il à poursuivre la mutation conservatrice, déjà observée ici et là, afin de redécouvrir la nation, la famille, la fierté, le mérite, etc. Des valeurs que nombre de Français musulmans ne demandent qu'à soutenir.

«Guerre souterraine»
Nicolas Sarkozy, mercredi: «Le terrorisme est une guerre souterraine.» «La lutte contre le terrorisme n'est en rien un conflit contre l'islam.» Deux évidences depuis le 11 Septembre. Mais c'est la première fois qu'un membre du gouvernement s'écarte de la version officielle considérant ce terme de «guerre» comme «inexact et dangereux» (Dominique de Villepin). Premiers effets d'une résistance à la barbarie islamiste en marche?